La rénovation d’un calvaire et son histoire retrouvée
C’est en 2016 que l’Association Espaces (Entente pour la Sauvegarde du Patrimoine Culturel et Environnemental de la Sommerau) a songé à entreprendre la remise en état d’un calvaire de Birkenwald. Situé à quelques pas de la chapelle édifiée en 1751 et dédiée à la Vierge, dans un environnement proche du Château de Birkenwald fondé au 9e siècle, à l’époque de Ste Richarde, et toujours habité aujourd’hui, le calvaire pouvait dater de la fin du XVIIIe siècle – début XIXe. Mais le socle dont la pierre provenait sans doute des carrières du Kronthal, semblait indiquer que son origine pouvait remonter à une période antérieure. Une inscription figurait sur le bas de la Croix. Son contenu pratiquement illisible a été retrouvé grâce à un document conservé par la Shase, une photographie des années 1980 et une note de Monsieur Monsieur Roger Engel qui avait inscrit :
« Dieses Creutz hat machen lassen Franz Joseph Boehler ».
Les restes visibles sur le monument semblaient confirmer à ce stade l’inscription relevée à l’époque.
Le monument fait donc partie du patrimoine historique local.
Implanté sur le lieu-dit cadastral « Im Alten Dorf » où se trouvait autrefois le village de Birkenwald, le calvaire s’inscrit dans un paysage bucolique, fait de prairies permanentes et de vergers anciens, sur le passage des touristes venus apprécier la quiétude du site et au carrefour des sentiers de randonnée reliant les massifs vosgiens alentour.
L’idée était de rénover l’ensemble, en le réparant du mieux possible et permettre de le préserver, afin qu’il garde sa place pour les décennies à venir.
Un premier contact a été pris avec Monsieur Jean-Paul François Lerch, qui est à la fois passionné par les monuments locaux, mais aussi bénévole investi à la Fondation du Patrimoine, et qui est venu voir le monument. La consultation d’un professionnel a paru nécessaire.
Convié dans le but de solliciter un avis et un devis pour la réparation envisagée, le premier artisan sculpteur qui a examiné le calvaire a été formel : l’ensemble en grès rose avait beaucoup souffert de l’usure du temps, une chute à une époque reculée et des restaurations sommaires successives ont fait que le socle, et surtout la Croix et le Christ étaient profondément détériorés. Ainsi il nous a été indiqué (et cela a été confirmé par la suite par deux autres sculpteurs) que seule une réfection complète de l’ensemble pouvait être envisagée ! Ce qui changeait tout par rapport à la nature des travaux à prévoir, mais aussi du budget à engager. Et puis, nous nous sommes aperçus également que le calvaire n’était pas situé sur un terrain communal comme nous l’avions envisagé, mais sur un terrain privé !
L’association ESPACES a donc tenté de trouver un accord avec le propriétaire, agriculteur d’un village voisin, qui avait le souci de la préservation du monument, mais ne souhaitant pas se lancer dans les travaux conséquents à prévoir. Espaces a donc proposé d’acquérir un are comportant le calvaire, afin de pouvoir intervenir – puisque comme chacun le sait le propriétaire d’une parcelle comportant le monument est également propriétaire dudit monument et responsable sur le plan du droit – même si celui-ci est là depuis des siècles.
Finalement un accord a été trouvé pour le rachat de la parcelle complète par un particulier, avec un engagement moral vis-à-vis de l’ancien propriétaire : la vente était conditionnée à la réfection du calvaire.
C’est alors que le projet de rénovation a pris forme, avec le soutien de la Fondation du Patrimoine. Première institution de défense du patrimoine en France, la Fondation sauve chaque année plus de 2000 monuments, églises, théâtres, moulins, musées, et participe au développement de l’économie locale et à la transmission des savoir-faire. Forts de 20 ans d’expérience, la Fondation a su développer des outils lui permettant de mener à bien de nombreuses actions de restauration aux côtés de collectivités ou de propriétaires privés. Sur le terrain, un solide réseau d’experts, composé de bénévoles et de salariés, accompagne les projets. La Fondation a donc été sollicitée en vue de l’obtention du label, – qui a été accordé pour 5 ans – et qui permettait de faire appel aux dons.
Reconnue d’utilité publique, le Fondation du patrimoine offre une garantie de sécurité et une transparence financière, chaque projet faisant l’objet d’une instruction approfondie et d’un suivi rigoureux. Les dons ne sont reversés qu’à la fin des travaux, sur présentation de factures acquittées, ce qui suppose d’office une garantie d’achèvement des travaux avec un engagement ferme porté par le maître d’ouvrage.
Parallèlement, le projet a fait l’objet du soutien de l’association ESPACES dont le but est de préserver et valoriser l’identité du village de Birkenwald et de sa région. L’Association ESPACES a apporté une aide technique pour la conception des supports de communication et leur distribution, ainsi que ses compétences pour les études liées à la réalisation d’un tel projet. Par exemple, l’Architecte des Bâtiments de France a été consulté et l’ouverture d’un dossier de classement aux Monuments Historiques a été entrepris. L’Architecte des Bâtiments de France a demandé que le nouveau calvaire soit refait strictement à l’identique, et que le monument d’origine soit entreposé dans un lieu à l’abri des intempéries et visible du public. C’est à ces conditions seulement qu’une protection au titre des Monuments historiques pouvait être envisagée.
A l’automne 2020, la détérioration – des parties déjà profondément abîmées – du monument devenait galopante. Il était peu probable que le calvaire puisse subir les assauts des puissantes tempêtes hivernales durant une saison supplémentaire : on voyait le ciel à travers les bras, le visage se désagrégeait et une partie de la poitrine était tombée au sol – et précieusement ramassée et conservée. Si le Christ devait tomber, c’en était fini d’une réfection à l’identique.
C’est pourquoi, le 4 septembre 2020, dans une certaine urgence, le monument a été déposé, et mis à l’abri dans l’atelier du sculpteur finalement retenu : Nicolas Helmer.
Nicolas Helmer, sculpteur et tailleur de pierres, avait eu l’occasion de sculpter de nombreux calvaires depuis 20 ans. Un jour alors qu’il était venu travailler sur un chantier voisin, à Birkenwald, nous avions fait connaissance. Ayant vu le monument, dont les qualités de taille et de proportions semblaient exceptionnelles aux yeux d’un professionnel sensible, il nous a fait part dans l’instant de son intérêt pour le projet et de son vœu de se voir confier la tâche de sa réfection. Il nous a semblé que cet intérêt, partagé, venait du cœur, et avons donc répondu favorablement à sa requête.
Début janvier 2021 le label a été octroyé par la Fondation du patrimoine, ce qui a permis de lancer l’appel aux dons, et de commencer les travaux. Le premier pas aura été de choisir une carrière susceptible de proposer des pierres avec un grain suffisamment fin pour la taille de la partie supérieure, avec tous ses détails à peine visibles. La carrière Metzger de Niderviller a pu répondre à nos attentes et fournir 3 blocs (de grande finesse pour le INRI et la Croix, plus brut pour le socle pour être le plus fidèle possible à l’original) avec très peu de variations dans les teintes.
Début 2021, le sculpteur va entreprendre de dégager progressivement la forme depuis le bloc, pour faire apparaître la Croix et le Christ, dont la qualité d’expression, et la présence dépendent de la nature des efforts consentis à chaque coup de maillet exécuté…… ! Au rythme de l’homme et de la nature, le calvaire nouveau va apparaître, doucement, pour être achevé, avec le bloc et le INRI, en Novembre 2021.
Dans le même temps la collecte des dons a permis de financer l’intégralité des travaux de rénovation, et la collecte a pris fin début décembre 2021.
Après mûre réflexion, la décision a été prise collégialement de réimplanter le monument quelques mètres plus en arrière afin de le protéger de la circulation. C’est pourquoi, de nouvelles fondations ont dû être conçues pour assurer la portance du nouveau monument. L’opération a pu être menée à bien grâce à l’aide d’une entreprise locale, qui a apporté son soutien pour creuser la tranchée. La recherche de l’emplacement idéal nous a amenés, avec l’aide d’une amie bio géologue venue en voisine de Hengwiller, à constater que le calvaire était érigé sur une ligne de force revitalisante et bienfaisante, et que les anciens n’avaient pas choisi ce lieu « par hasard ». En reculant l’ensemble de quelques mètres, mais restant bien dans l’alignement de cette ligne d’énergie, le calvaire nouveau a été réinstallé le 13 Novembre 2021 !
L’architecte des Bâtiments de France a accordé son agrément à cette réalisation.
Malheureusement, les services des Monuments Historiques ont, à notre grand regret, renoncé à classer le calvaire pour différentes raisons plus ou moins compréhensibles, comme l’absence de certaines parties du monument originel. Il est vrai que les pieds avaient disparu, ayant été cassés lors d’une chute antérieure.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Des recherches complémentaires pour tenter de retrouver des informations historiques liées au calvaire ont été effectuées par la Shase début 2022.
Le nom du donateur d’origine qui a fait ériger le calvaire avait été semble-t-il un certain François Joseph BOEHLER. Mais ce nom était introuvable dans les registres de Birkenwald où ce patronyme est totalement inconnu. Il existe des personnes de ce nom dans la première moitié du 19e siècle dans d’autres communes, plus ou moins éloignées de Birkenwald. Le patronyme BOEHLER nous est connu par la fiche d’inventaire de ce calvaire établi par Monsieur Roger ENGEL (fonds documentaire de la SHASE, fonds Engel). L’inscription sur la croix est aujourd’hui pratiquement illisible. Mais, une fois démontée, et dans l’atelier du sculpteur, une lumière rasante a permis de relever une date : Avec certitude étaient lisibles le 1, et le 8, puis peut-être le 0. Le 4eme chiffre enfin avait totalement disparu.
Pour qu’un tel calvaire soit érigé sur le ban d’un village par une personne étrangère à celui-ci, au carrefour de deux chemins, il faudrait un évènement majeur, voir tragique, pour le justifier. Rien à priori dans l’historique connu du village ne permettait de retrouver trace d’un tel évènement.
Restait la possibilité de l’initiative éventuelle d’un habitant du village de Birkenwald, dont un – ou des – évènements majeurs intervenant dans la vie de celui-ci auraient pu le conduire à faire ériger le monument.
C’est ainsi qu’une recherche approfondie effectuée par la Shase dans les registres d’état-civil de Birkenwald ont permis de mettre en évidence les personnes suivantes :
François Joseph BÜCHLER né le 23.3.1749 et décédé le 10.2.1809 (à 59 ans 10 mois et 18 jours). Il était cultivateur et voiturier à Birkenwald.
Marié le 27.11.1781 avec Anne Marie LAMBOUR née le 18.1.1762 et décédée le B. 15 ventôse an VIII (6.3.1800)
Leur fils aîné, François Joseph BÜCHLER né le 22.9.1782 est décédé le 11.10.1830 (à 49 ans), et était lui aussi voiturier à Birkenwald.
Il avait épousé le 5.2.1807 Marie Anne HALTER née le 5.9.1784 décédée le 28.3.1809, à peine deux ans après leur mariage. .
On peut donc en déduire, hypothèse très plausible qui tient compte des chiffres subsistants relevés sur la pierre et des inscriptions retrouvées, que c’est François Joseph BÜCHLER fils – de Birkenwald – qui a fait ériger ce calvaire en 1809, à la suite du décès de son père et de son épouse, la même année et en moins de deux mois ! Sur le bas de la croix la gravure de l’inscription verra donc la rectification suivante apportée par le sculpteur : Le « u » et le « c » de Buchler venant à la place des « o » et « e » initialement interprétés comme les lettres de Boehler…….
L’inscription pourra donc être la suivante :
« Dieses Creutz hat machen lassen Franz Joseph Buchler »
Un petit panneau explicatif en fonte émaillée viendra à terme apporter quelques explications sur cette histoire, sur le lieu de sa mémoire entretenue depuis le 18e siècle jusqu’à ce jour….
Quelques images pour illustrer la rénovation par étapes du monument :